PEINTURES RUPESTRES, Iles du Frioul, France 2019
En Avril 2019, de retour dans mon pays natal après 9 ans au Canada, j’ai fait deux peintures dans les grottes /bunker de l’ile du Frioul, un endroit special dans l’histoire de ma famille, ou je vais depuis que je suis un embryon d’ectoplasm. Afin de célébrer des retrouvailles, me réintégrer à mon territoire, mes racines, d’exorciser cette perpétuelle quête identitaire et d’art ritualistique. Acte psychomagique infusé d’intention de guérison, marquer la pierre pour résister à l’oubli ? Ecrire sur les murs pour (re)vivre l’intégration à son propre territoire, Fantasme de retrouvailles heureuses et harmonieuses… mais la réalité n’est pas si simple.
Soudain, je me suis souvenue qu’en avril 2017, je terminai mon diplôme en histoire de l’art à l’UQAM, avec un essai sur les « sculptures rupestres » qu’Ana Mendieta avait réalisé dans des grottes, à son retour à Cuba après 20 ans d’exil. Un drôle de présage, et bien que nos contextes socio-culturels diffèrent grandement, un réseau de signification s’est tissé bien malgré moi…
L’idée que ce « chez soi », une fois qu’on est partie suffisamment longtemps, devient une fiction construite, imaginaire… Rien n’est pareil, et pourtant les patterns ont la peau dure. Le faire résider dans le lieu liminal -en marge- que représente la grotte n’est pas fortuit. (Le Frioul ayant, de surcroit, un passé d’ile de quarantaine…) On desirait l’unification et on se retrouve dans un no woman’s land, une position ambiguë, entre passé et présent, inclusion et rejet, caché et visible. Une zone de transition, de flou, ou ce qu’on croyait connaitre semble s’éroder.
Dans l’essai, je reliai les sculptures rupestres d’Ana Mendieta au concept de « Grotte antérieure » (anterior cave) de Julia Kristeva, qui traite de l’irrécupérable origine, le retour au ventre maternel (la grotte) qui est une expérience fondamentale ancrée en chaque humain, mais qui demeure impossible à reconstituer. Nos œuvres constitueraient symboliquement ce retour aux origines, à l’expérience primale du ventre maternel, mais un hommage funéraire, puisque cette origine est perdue à jamais.
Lieu de gestation, la caverne est perçue en histoire de l’art occidentale comme point de départ de la création d’images (Grottes de Lascaux, mythe de Platon) mais également comme matrice de l’humanité pour de nombreuses mythe fondateurs. (Pour Ana Mendieta, le peuple Taino de l’ile de Cuba, pour moi, les photos de ma mère enceinte sur les plages du frioul !)
Mais la « grotte antérieure » renvoie aussi à l’inaccessibilité de cette partie inconsciente, présymbolique et informe, et qui « semble former une couche profonde à l’intérieur de la psyché humaine, et est associée avec la production d’art et de littérature. » Créer c’est essentiellement toucher du doigt cette mémoire collective primale dont le désir –inassouvissable - de retour à l’origine est sublimé dans l’acte de création d’images.
Grotte, inconscient, ventre maternel, mère patrie, histoire personnelle et politique du territoire…L’intervention in situ d’Ana Mendieta, comme la mienne, constituent des palimpsestes, des reseaux de significations qui relient l’idée du passé, de vestiges archéologiques, de traces et de frontières. Comme lieu symbolique liminal entre l’intérieur et l’extérieur, elle parle du sentiment d’exil et « d’entre-deux pays » de l’artiste. Mais c’est dans cette brèche que l’identité peut résider, instable et fragile, sujette à l’érosion du temps… et aux réécritures que permet l’acte créateur.